Traînant sa robe de chambre et son sabre dans différentes conventions depuis 2015, Katana ZERO fait partie de ces jeux dont le style ne laisse pas indifférent et qui s'évertuent à prendre leur temps. Passé sous le giron de Devolver, le projet mené par Justin Sander est enfin arrivé à bon port. Et ça va trancher, chérie.
Le Dragon. C'est le joli surnom que les médias donnent à cet inconnu qui depuis des semaines sème les cadavres découpés dans tous les sens. Un type impossible à attraper, que la pègre locale aimerait bien savoir mort et enterré. Probablement un tueur froid, calculateur, taciturne. Probablement pas. Le Dragon, c'est vous. Un sociopathe, certes, mais qui n'a pas l'air bien méchant. Juste paumé, se baladant en robe de chambre façon The Dude et vivant dans un appartement miteux à côté de voisins bien trop bruyants. Ses journées sont rythmées par les séances chez son psy, l'injection de la drogue seule capable de le calmer et maintenir en vie, et l'accomplissement de ces missions dangereuses durant lesquelles il joue du sabre. Tuer, dormir, ne pas prêter attention à la vie qui l'entoure. Cette routine est rompue pas l'insistance de cauchemars toujours plus réalistes et l'intérêt porté par un gangster devenu très entreprenant...
Objectif NULL
C'est peut-être la plus grosse surprise de Katana ZERO : le soin apporté à sa trame. Là où il aurait pu se révéler un jeu d'action et de plate-forme en pixel art basique, il s'affirme comme un petite série noire rétro-futuriste, éclairée par les lumières flashy des néons et bercée par des nappes synthwave qui nous ramènent volontiers plus de 30 ans dans le passé tout en nous faisant taper du pied et des notes plus asiatiques pour rappeler qu'on incarne une sorte de Ronin. On peut dire que Ludowic et Bill Riley, en charge des musiques, on assuré l'ambiance. L'univers créé de toute pièce par Askiisoft déroule son folklore bien développé, ainsi qu'une galerie de personnages aussi mystérieux que parfaitement caractérisés dans une ambiance savoureuse.
L'impression de se regarder la VHS d'une série B filmée au crépuscule des années 80 n'en est pas une. Chaque chapitre du scénario, nébuleux, bizarre, et totalement immergé dans un trip hallucinogène, se dévoile au travers de la lecture de cassettes vidéo, avec parfois de l'usure, des rembobinages... Et le joueur a une influence sur la bande. En effet, plutôt que de le laisser spectateur en dehors des phases de "nettoyage", les développeurs ont décidé de le faire participer par le biais d'un système de dialogue timé qui a son importance. En essayant d'accélérer les choses, il peut traduire l'impatience. En patientant pour ouvrir sur davantage de choix, il mène à prendre des décisions plus réfléchies et obtenir, peut-être, plus de réponses. Cela peut amener à des situations différentes. Par exemple, la façon dont on aborde la réceptionniste d'hôtel, la rendant furax et suspicieuse ou au contraire intriguée et limite amoureuse, aura ses petites conséquences. Tout comme le fait de gracier une cible tout en se sachant observé par ses commanditaires. L'implication n'en est que renforcée. Et comme vous pouvez vous en douter, s'il y a une ligne directrice, cela n'empêche pas de profiter de différents dénouements.
Aiguisé comme une lame
Au-delà du volet narratif aussi étonnant qu'admirable, on trouve aussi un jeu terriblement bien conçu et défoulant. Il suffit d'imaginer Mark of the Ninja et Hotline Miami qui se télescopent dans un style visuel 16 bit +, avec un déluge de couleurs, de détails dans les décors et d'effets de lumières bien appliqués. Dans la peau du héros, vous parcourez divers environnements allant d'un hôtel à une boîte de nuit en passant par une prison ou encore une usine. Chaque lieu offre un découpage de séquences courtes durant lesquelles vous n'avez qu'un objectif, trucider toute personne présente avant la fin du temps imparti pour rejoindre la pièce suivante. Efficace, vous tuez en un coup. Mais vous mourez aussi en un coup. Dur. L'esquive/roulade que ne renierait pas Dead Cells a l'avantage, outre de laisser passer au travers de laser de sécurité, de faire atterrir dans le dos des gredins prêts à se faire trancher. Le droit d'attraper et lancer des objets, comme des bouteilles, couteaux de boucher, cocktails molotov et autres bustes bien denses, permet de faire le ménage à distance. Sans oublier les possibilités d'attaquer par les airs ou en éclatant une porte dans une gueule, ou encore en tirant parti d'un nuage de fumée.
Blade time
Mais comment s'y prendre face à des meutes plus compactes, mieux armées, capables de riposter, et surtout aux balles venues des pistolets et fusils que vous vous refusez à utiliser ? Quand bien même les contrôles répondent sans temps mort, l'épreuve pourrait sembler insurmontable. Si le protagoniste ne disposait pas d'une botte secrète : une main-mise sur le temps, qu'il défie au gré d'une barre à la longueur limitée juste comme il faut. D'une pression maintenue sur une gâchette, tout tourne au ralenti. Il devient alors plus aisé de renvoyer une bastos dans le crâne de son envoyeur, d'atteindre une cible, d'anticiper. Mais pas évident. Chaque niveau peut se voir comme un puzzle à résoudre, ou un jeu de course pour lequel on va tenter de trouver la trajectoire idéale, en respectant un tempo. Le résultat, visible ensuite à vitesse réelle, est spectaculaire, acrobatique, gore. Minimaliste, puisque la palette demeure limitée, mais riche en façon de faire.
Oh, j'en veux encore
Dans ce flot d'action qui peut vous voir enchaîner les décès avant que les connexions entre votre réflexion et vos réflexes soient complètes, il y a aussi des boss. Certains vont vous en faire baver, sembler trop rapides, trop forts au premier abord. Une bonne assimilation des patterns, toujours clairs, permet de s'en débarrasser malgré tout, en restant concentré. On aurait d'ailleurs adoré avoir affaire à un nombre plus important d'entre eux.
C'est peut-être l'un des rares griefs à émettre à l'encontre de Katana ZERO, qui en outre présente quelques variations rafraîchissantes : on en aurait voulu beaucoup plus. La satisfaction d'avoir atteint le dénouement et obtenu les réponses à la plupart de nos question existe. Cependant, au bout de 5-6 heures à donner la mort avec la classe et clamser en sachant que l'on reviendra quoi qu'il arrive avec d'autres connaissances, l'appétit est toujours ouvert. Reste le droit de re-parcourir les lieux traversés pour tenter des runs plus propres, plus rapides, sans ralenti, et la quête de collectibles utiles pour débloquer des objets cachés - mais sans grand impact sur le gameplay. Cela n'empêche pas de rêver à une suite. Immédiatement, dans l'idéal.